[Facil] [escape_l] (Post) L'accès libre à l'info scientifique, une "lutte sans merci"

Valerie Dagrain vdagrain at free.fr
Lun 22 Mai 07:44:49 EDT 2006


Sur son blog, le recteur de l'université de Liège, Bernard Rentier,
analyse les enjeux de l'accès libre en matière de publications
scientifiques:

"Il faut que chacun comprenne bien la lutte sans merci que nous avons
décidé de mener contre des procédés commerciaux inacceptables qui se
pratiquent à nos dépens et que nous ne pouvons plus tolérer."

Le texte ici:
http://recteur.blogs.ulg.ac.be/?p=55
[FL]

*Le paradoxe*

L’accès libre à l’information scientifique est l’un des enjeux les plus
fondamentaux de la société de l’information telle que la façonnent les
progrès de la science et des technologies, ainsi que de la communauté
scientifique globale.

Toutefois, aujourd’hui, le monde de la recherche se trouve dans une
situation pour le moins paradoxale:
- La plus grande partie de la recherche scientifique de haut niveau est
financée par des établissements publics ou philanthropiques.
- Les chercheurs rendent compte de leurs résultats dans des articles
qu’ils offrent gratuitement aux journaux scientifiques afin de faire
connaître leurs travaux, de se faire connaître eux-mêmes et de parfaire
leur curriculum vitæ. Pour ce faire, ils renoncent explicitement à leurs
droits d’auteurs et donc à la propriété intellectuelle qui est la leur
et celle de l’institution où ils travaillent.
- Ces mêmes auteurs assurent également la qualité des articles publiés
par d’autres dans ces journaux en lisant et critiquant les articles
soumis par leurs pairs.
- Ils achètent, quelquefois à prix d’or, les journaux en question pour y
lire les articles de leurs pairs.
- Malgré ce travail énorme de production et d’assurance de qualité, les
chercheurs ont perdu tout contrôle sur ce processus pourtant si
intimement lié à leurs intérêts primordiaux, un processus qui ne
pourrait exister sans eux à aucun niveau (production, contrôle de
qualité, lecture). Le prix de vente des abonnements à la plupart des
journaux scientifiques est extrêmement élevé, et ne cesse de grimper
toujours plus haut, les rendant petit à petit inaccessibles aux
scientifiques du monde entier.

L’information scientifique se trouve donc devant un fossé financier
irrationnel, artificiel et de plus en plus infranchissable et devant cet
extraordinaire paradoxe qui est qu’ils font tout, de la production à la
consommation, et qu’ils paient à tous les niveaux. Et ils tirent de
cette arnaque une telle fierté, une telle satisfaction d’ego, qu’ils se
font piéger avec consentement, paient leurs frais de recherche, paient
leur frais de publication de plus en plus souvent et de plus en plus
cher, font le /reviewing/ gratuitement et achètent les revues. En outre,
de nos jours, on exige d’eux de fournir leurs manuscrits /“camera
ready”/, dégageant les éditeurs du travail typographique. Les efforts
que font les institution de recherche pour acheter les revues (2,5
millions d’euro dans une université comme la nôtre) escamotent aux yeux
des chercheurs une partie du coût réel de ce paradoxe et contribuent
sans doute ainsi à la soumission générale, mais le paradoxe est quand
même bien réel.

*Le paradigme*

Sans prétendre être la panacée, et sans vouloir nuire aux éditeurs
honnêtes — ceux qui n’ont pas perdu le sens moral et savent se contenter
d’un profit légitime et raisonnable — le mouvement pour les journaux en
libre accès et les archives libres offre des approches pratiques qui
permettent à l’information scientifique d’être librement accessible dans
le monde entier, en accord avec les conceptions les plus nobles des
scientifiques.
Le Libre Accès conduit, dans les pays industrialisés, à des économies
considérables dont on a un besoin urgent pour maintenir un niveau
raisonnable au financement de la recherche.
Le Libre Accès accorde aux pays en voie de développement et en
transition un accès gratuit à la connaissance scientifique, ce qui
constitue une condition absolue et fondamentale pour l’établissement
d’un système éducatif efficace, et pour fournir la base d’un
développement intellectuel et économique durable. Il aiderait également
les pays émergents à constituer leurs propres journaux scientifiques.
Seule l’inertie historique maintient la situation actuelle.

*La guerre est déclarée*

La «Déclaration de Berlin sur le Libre Accès à la Connaissance en
Sciences exactes, Sciences de la vie, Sciences humaines et sociales»,
signée le 22 Octobre 2003 par les agences allemandes et françaises de
recherche est vraiment une étape majeure en faveur du Libre Accès qui a
véritablement déclenché un changement de paradigme partout dans le
monde, en ce qui concerne l’édition scientifique. De nombreuses agences
de recherches dans divers autres pays ont, depuis, signé cette
déclaration. Il se dessine donc une nouvelle dynamique vers le Libre
Accès, reconnue dans la déclaration de principe qui dit ceci:
/«Nous nous efforçons de promouvoir un accès universel, avec égalité des
chances pour tous aux connaissances scientifiques ainsi que la création
et la vulgarisation des informations scientifiques et techniques, y
compris les initiatives favorisant l’accès libre aux publications
scientifiques»/.
En fait, il s’agit bien, pour les chercheurs et quel que soit leur
domaine de recherche, de reprendre en mains un processus qui leur a
malencontreusement échappé.

Il faut que chacun comprenne bien la lutte sans merci que nous avons
décidé de mener contre des procédés commerciaux inacceptables qui se
pratiquent à nos dépens et que nous ne pouvons plus tolérer.
En allant aussi loin, les “éditeurs prédateurs” ont poussé à bout les
responsables des bibliothèques et de tous les outils de documentation,
leur ont donné la rage de réagir violemment et de combattre. Cette
colère atteint aujourd’hui les chercheurs qui, bien qu’au centre du
débat, l’ignoraient jusqu’ici largement, puisque rarement au courant de
la réalité de la flambée des prix par ce processus insidieux de
dissociation des tâches que je mentionnais plus haut.
En outre, ils ont permis la démonstration que, plus qu’une solution de
défense, la publication en accès libre est un véritable progrès
technique et fonctionnel et qu’il n’y aura pas de retour en arrière.

La guerre est déclarée. Elle se combattra par beaucoup de moyens, mais
puisqu’il s’agit d’un Goliath contre une multitude de petits David,
ceux-ci doivent s’unir et utiliser les avancées technologiques à leur
disposition pour se battre.
De toute évidence, la guerre implique un blocus, un boycott complet des
éditeurs sans scrupules, tant à l’achat, donc la lecture, qu’à la
production, donc la publication, en passant par l’assurance de qualité
du produit, donc le /reviewing/. Il faut que les chercheurs comprennent
bien cela: ce sont eux qui sont pris au piège, pas les bibliothécaires.
Et ce sont justement eux qui ont les armes, mais il faut qu’ils s’en
servent !

Alors, commençons aujourd’hui, en bons scientifiques, par analyser
froidement la situation et examinons les pistes qui s’offrent à nous.

*Qu’est-ce qui importe ?*

L’objectif de la publication est que le chercheur puisse relater ses
travaux de telle manière que le plus grand nombre possible d’autres
chercheurs puissent en prendre connaissance. Si l’accès à cette
publication est peu coûteux, rapide et si la diffusion en est large, le
chercheur a atteint son véritable but. L’Internet permet un accès
gratuit, immédiat et universel, il constitue donc le moyen idéal de
diffuser les informations scientifiques.

Dans la déclaration de l’IFLA (/International Federation of Library
Associations and Institutions;/ http://www.ifla.org/) sur l’Accès libre
à la littérature scientifique et à la documentation de recherche, on
trouve : / L’accès libre garantit l’intégrité du système de
communication scientifique en assurant que toute recherche et
connaissance est disponible à perpétuité pour un examen illimité et, si
nécessaire, pour un développement ou une réfutation./

On peut penser qu’un tel mode de diffusion a déclenché aussitôt un grand
enthousiasme dans le monde scientifique, mais ce n’est pas encore
vraiment le cas, bien que les choses évoluent vite.

*Quels sont les freins à la généralisation de ce système ?*

1. La pérennité de mes publications est-elle assurée ?
2. Trouverai-je un journal électronique dans lequel cadreront mes
recherches ?
3. Comment la qualité scientifique du contenu de mes publications
sera-t-elle contrôlée ?
4. Comment assurerai-je un bon niveau de facteur d’impact si je ne
publie plus dans des revues cotées ?

Les réponses à ces inquiétudes sont simples:

1. Techniquement, la stabilité des contenus n’est pas plus précaire
parce qu’elle est électronique. Il ne s’agit que de reproduire
suffisamment de versions de l’original pour éviter toute perte
définitive, de transposer les contenus sur de nouveaux supports lorsque
les standards évoluent et de conserver des tirages papier dans des
bibliothèques, si l’on croit plus à la pérennité du papier qu’à celle
des supports électroniques. Beaucoup d’universités, comme la nôtre,
envisagent d’entreposer une version électronique et une version papier
des toutes les publications de ses chercheurs.

2. Les “journaux” électroniques sont aujourd’hui toujours plus nombreux.
Dans le /Directory of Open Access Journals/, 2235 journaux sont
répertoriés (une soixantaine il y a quatre ans) et leur table des
matières et souvent les résumés d’articles sont accessibles. Parmi eux,
638 journaux permettent la lecture complète des articles, actuellement,
97.820 articles sont disponibles (http://www.doaj.org/
<http://www.www.doaj.org/>)

3. Le /peer reviewing/ est lié à la volonté des chercheurs de garantir
la qualité de leurs publications. On peut aussi bien soumettre à l’avis
des pairs une publication électronique qu’une publication traditionnelle.

4. La mesure de l’impact d’un article électronique est bien plus précise
(l’impact peut être celui de l’article lui-même et non celui de la revue
qui le publie) et plus immédiate que la mesure d’impact devenue
classique. Par ailleurs, l’impact véritable, c’est-à-dire le nombre de
ses lecteurs, est bien plus grand avec ce type de diffusion par internet
et, partant, les opportunités d’être cité par ses pairs sont beaucoup
plus grandes. Ainsi, un article publié cette semaine (électroniquement!)
par Gunther Eysenbach (/“Citation Advantage of Open Access Articles”/)
expose clairement les atouts de la publication électronique en accès
libre :
http://biology.plosjournals.org/perlserv/?request=get-document&doi=10%2E1371%2Fjournal%2Epbio%2E0040157#AFF1/
<http://biology.plosjournals.org/perlserv/?request=get-document&doi=10%2E1371%2Fjournal%2Epbio%2E0040157#AFF1/>.
La revue édite par ailleurs un commentaire sur cet article :
http://biology.plosjournals.org/perlserv/?request=get-document&doi=10.1371/journal.pbio.0040157/
<http://biology.plosjournals.org/perlserv/?request=get-document&doi=10.1371/journal.pbio.0040157/>
Il en ressort que les articles en accès libre sont plus rapidement lus
et cités, démontrant bien la thèse que nous défendons depuis plusieurs
années et qui affirme que la publication en libre accès favorise et
accélère la diffusion des connaissances, le dialogue entre les
chercheurs et qu’elle devrait donc se généraliser le plus rapidement
possible.

Pour cela, il importe que les jurys et commissions qui sont appelés à
juger de la qualité scientifique d’un chercheur ou d’une équipe de
chercheurs accordent tout le crédit qu’elles méritent à ces publications.

*La recherche universitaire, service public*

Un dernier élément entre en compte : les recherches réalisées avec des
deniers publics ne doivent-elles pas être rendues accessibles à tous ?

Les Etats Unis d’Amérique viennent de franchir ce pas, par l’adoption du
/Federal Research Public Access Act/ qui exige de toute agence fédérale
dont le budget dépasse 100 millions de dollars qu’elle mette en œuvre
une politique d’accès libre assurant la mise sur Internet de tout
article résultant d’une recherche subventionnée par cette agence au plus
tard six mois après sa publication. L’agence doit obtenir de chaque
chercheur qu’il dépose une version électronique de son article accepté
pour publication dans un journal revu par des pairs. Elle doit assurer
la préservation durable du manuscrit sous forme électronique et son
accès permanent, libre et gratuit pour tous.
http://cornyn.senate.gov/index.asp?f=record&lid=1&rid=237171/
<http://cornyn.senate.gov/index.asp?f=record&lid=1&rid=237171/>.

La Communauté européenne se penche actuellement sur l’identification
d’un moyen d’arriver au même objectif : rendre au public ce qui a été
obtenu avec des deniers publics.
http://europa.eu.int/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/06/414/
<http://europa.eu.int/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/06/414>.

Enfin, quand on considère bien tous les éléments positifs de la
publication en libre accès (rapidité, efficacité, universalité du
lectorat potentiel, référence rapide par lien électronique, utilisation
de techniques inapplicables à la publication sur papier telles que les
animations, les films, etc; connaissance permanente des documents où nos
propres travaux sont cités), on comprend que la voie est tracée, que le
mouvement est irréversible et que désormais, les scientifiques vont se
tourner vers ce nouveau mode de publication. Un nouveau paradigme est
né, et avec lui une nouvelle ère de la recherche scientifique.




**NOUVEAU *********
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