[Facil] Le droit à l'accès

Yannick Delbecque yannick.delbecque at mail.mcgill.ca
Jeu 21 Déc 10:55:13 EST 2006


Sans citer de passages spécifiques de la discussion récente entre
Stéphane et Robin, j'ai décidé de donner mon point de vue sur la
question du drot à l'accès. 

Je tiens à préciser que j'ai assisté comme représentant de FACIL en
remplacement de Robin à une des premières rencontres de discussion au
sujet de la création de Maillons - qui semble (J'ai malheureusement peu
d'information sur le sujet) justement proposer une 
initiative pour favoriser l'accès à Internet. Mon impression est que
le groupe, qui, si j'ai bien compris son histoire, devait initialement
être un moyen pour plusieurs groupes ayant des préoccupations
"similaires" de partager des ressources et de faire des demandes de
subventions communes. En cherchant à préciser ce que ces groupes 
partagent, le projet s'est transformé peu à peu pour devenir
associé à l'"accès à un internet citoyen". Ce n'est pas si loin d'un
dénominateur commun acceptable. Je crois cependant l'idée plus générale
de "droit à la communication") préférable, mais de toute manière, il me
semble que de  réduire la question de l'accès à Internet comme moyen de
communication _citoyen_ à une question de connextion haute-vitesse 
pourrait s'avérer être une erreur. 

Pour illustrer, pensons à la mise en place d'un programme du type "branchons les
familles" tel que le gouvernement l'a fait il y a quelques années. Ce
programme n'a pas permis de vraiment progresser au sujet du droit à la
communication - ou de l'accès à un internet _citoyen_. Il est certain 
que de donner à plus de gens un accès à haute vitesse permettrait à un
plus grand nombre de communiquer via le médium internet. Cependant,
de multiples entraves au droit à la communication subsiste. Je crois que
le danger dans un tel programme est de faire adopter des habitues à de
nouveaux "internautes rapides" sans mettre en place ce qu'il faut pour
que l'internet soit "citoyen". 

Par exemple, si l'utilisation des DRM s'impose, légalement ou par acceptation
passive de la majorité (imaginez d'ici quelques années une majorité d'utilisateurs de Vista
et de son "trusted computing"), l'effet de la généralisation l'accès haute
vitesse sera principalement de permettre à un plus grand nombre de gens d'utiliser un moyen de communication
extrèmement contrôlé, ce qui est, je crois, l'antithèse du droit à la communication. 
Le programme n'aura eu pour effet que de permettre la fidélisation
d'un plus grand nombre de clients et l'adoption implicite de la
règlementation virtuelle - via les DRM - créé par l'industrie, et ce avec
l'aide des fonds publics. De même, si la neutralité d'Internet
viens à disparaitre, l'accès plus facile à internet n'aura rien
d'un droit égal à la communication, et l'internet citoyen sera beaucoup
plus difficile à mettre en place. 

De tels programmes peuvent être vus comme des subventions à l'industrie des
télécomunications, et une manière de les rendres plus acceptables serait
de demander certaines garanties en échange: par exeple en ce qui à
trait aux méchanismes de fermeture de comptes (pensez au cas de Telus qui, en Ontario,
a fermé abusivement le site du syndicat d'une partie de ses employés lors d'un conflit de
travail...), voire même des garanties de services (espace minimal pour
créer un site personnel, etc) ou au sujet du respect de la vie privée,
au sujet des logiciels libres ou du respect de certains format, ou de
l'organisation des services. Je n'ai pas réfléchis tellement à cette
question et ces exemples ne sont peut-être pas les meilleurs, mais
l'idée est que dans un tel programme, il faudrait imposer certaines
normes minimales pour s'assurer que le résultat soit "citoyen".

Un parallèle: si on veut donner accès à la population d'une ville
donnée à des moyens de transports à prix modique, le moyen privilégié
depuis plus d'un siècle est le transport en commun.  Si un jour une ville
propose un programme d'achat de véhicules, disons des scooters, pour
les étudiants qui s'intitulerait "Deux roues par étudiants" ou 
"un moteur par étudiant", ou encore "Rouler les familles" :), pourquoi
nous indignerions-nous (même en faisant abstraction de la question 
écologique)? Parce que l'ensemble du programme passerait pour une 
subvention déguisée à l'industrie automobile qui ne serait pas vraiment
axée sur le développement communautaire à long terme. La différence entre
la solution communautaire et la solution... disons "individualiste" est 
une question de contrôle des ressources. Dans les deux types de programmes,
l'industrie y trouvera son compte: elle produira des scooters ou des 
autobus, peut importe si c'est l'état ou les individus qui les commandent.
Cependant, dans l'approche plus communautaire, la communautée se donne
un plus grand contrôle sur ce qu'elle créé, elle commande ce dont 
elle a besoin, elle contrôle le développement de son système de transport,
alors que dans l'approche individualiste, la communauté à beaucoup moins
d'influence sur le résultat. 

Le parallèle routier peut d'ailleurs être étendu: si pour avoir accès
au transport, il faut des véhicules, il faut aussi des routes. La neutralité
d'internet, c'est très similaire à la neutralité du réseau routier.
Utilisez le véhicule que vous voulez, organisez du co-voiturage ou
voyagez en limousine, le réseau est toujours là pour vous. Si une forme
de ségrégation se mettait en place sur le réseau routier comme on propose
sérieusement de le faire sur internet présentement, il n'est pas
difficile d'imaginer les conséquences: difficulté de voyager sur de
longues distance, difficulté probables à faire du co-voiturage (qui
ferait basser les revenus des propriétaires routiers...), les routes des
pauvres seront plus dangeureuses parce que moins bien entretenues (bon,
c'est déjà un peu le cas...). 


Si on veut faire avancer la cause d'un internet citoyen, je crois qu'il
faut rappeler l'importance de l'acompagnement. Donner accès à internet 
est un aspect du problème de l'internet citoyen, mais il
faut travailler à minimiser le clivage dans les savoirs. Même si on
donne un blog à chaque citoyen demain, il est fort probable que la
grande majorité d'entre eux restraient inutilisés, en grande partie parce
que beaucoup de gens qui auraient des choses à dire n'ont pas l'habitude
ou la confiance nécessaire pour écrire ce qu'ils pensent ou seraient
intimidé par l'apprentissage d'une nouvelle syntaxe ou de nouveaux
outils. Si on donne simplement accès à internet, les gens utiliserons
le courriel pour des communications personnelles, et bien peu de leur
actions seront "citoyennes" - pas nécessairement par manque de volonté, mais par manque
de compétences. Trop peu de gens pourraient se créer par eux-même un site personnel
simple pour s'y exprimer, trop peu de gens serait en mesure de
contribuer à un wiki communautaire (pour un cartier par exemple), à un
calendrier d'évènements collectifs, etc. Il faut organiser un
accompagnement pour ces gens, les aider à s'approprier les technologies
nécessaires pour les utiliser à leur manières. L'accès haute vitesse est
bien que pouvant être utile, reste secondaire dans cette perspective. 

Voilà pour l'instant.  

Yannick Delbecque




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